7e Exposition suisse de sculpture Bienne
Andreas Meier
Et les enfants, qu’ont-ils à faire avec une exposition de sculpture ?
Cette question nous incite peut-être à penser à la dernière exposition de sculpture : durant trois mois, le « Grosse Boss » de Bernhard Luginbühl fut l’attraction des enfants, comme le fut le « Lozziwurm » d’Ivan Pestalozzi, installé désormais au Parc de la ville.
L’admirateur de l’« art sur piédestal » considère avec scepticisme ces sculptures ludiques et praticables. Sa meilleure réaction sera: « On peut aussi faire une fois quelque chose pour les enfants. » Avec un peu de chance, de telles sculptures satisfont aux attentes esthétiques traditionnelles des adultes. C’est sous la notion d’ « art de contact » qu’elles ont une place reconnue dans le paysage artistique.
Mais le questionnement de départ ne s’arrête pas là lorsqu’on constate un fait simple : la moitié des sculptures que la Ville de Bienne a acquises ces trente dernières années se trouve dans des établissements ou des aires de récréation scolaires. Par conséquent, une grande partie de l’Exposition Suisse de Sculpture devrait être l’affaire des enfants et des adolescents qui saisissent ainsi l’occasion de discuter avec les artistes, d’exprimer leurs idées et souhaits, de confier des mandats et de procéder à de nouvelles acquisitions. Mais ne laissons pas les enfants copier tout simplement les adultes.
Dans le domaine de la sculpture figurative des années cinquante, on sentait que les artistes étaient soucieux d’établir un lien avec les enfants et l’école et c’est la même intention qui poussait les commissions et architectes à choisir des sculptures comme «Werdegang des Lebens », « La ronde », « Der Zirkus », une tête de fillette, un portrait de garçon, des animaux de toutes sortes : une chèvre, un ourson, une dinde, un coq et une poule. Je ne prétends pas que cet art est particulièrement adapté aux attentes des enfants et mon énumération n’est pas un plaidoyer en faveur d’une renaissance de la sculpture figurative. Mais, apparemment, l’art abstrait est encore plus l’affaire des experts qui décident selon le goût des adultes, entre adultes, avec peut-être quelques considérations pédagogiques. Quant au dialogue entre enfants et artistes, il n’existe pratiquement pas. Il est rare que la réalisation d’une peinture murale associe artistes et enfants. Mais je ne souhaite pas que les artistes se limitent à créer un « art du toboggan, de la pataugeoire et des espaliers ». Je pense même que de tels objets ludiques doivent être conçus pour répondre à leur fonction réelle et pas nécessairement à des critères esthétiques. Mais je pense que les artistes devraient plus souvent considérer les enfants comme des partenaires et prendre en compte leur perception spécifique.
En «architecture des jardins » dans les années cinquante, la sculpture était encore en grande partie un accessoire sans lien avec l’architecture d’un bâtiment scolaire. Avec la raréfaction croissante des terrains et la densité des bâtiments, elle aussi croissante dans les années qui suivirent, la sculpture fut de plus en plus souvent intégrée dans l’architecture. Sa fonction fut alors de servir d’articulation aux corps de bâtiment et de les égayer. Ceci est important pour l’enfant, car sa perception est moins sélective que celle de l’adulte. Il s’oriente moins selon les critères des fonctions que selon ses impressions spontanées de l’espace. L’enfant, qui ne contrôle pas encore vraiment les dimensions d’un espace, perçoit les points fixes, p. ex. la colonne érigée au milieu de l’aire de récréation, le relief en fer qui modèle une façade en béton, la forme arrondie et le matériau chaleureux d’une sculpture en bois contrastant, dans l’espace intérieur, avec la froideur et la sobriété du béton brut des murs, la stèle en acier chromé installée un peu à l’écart sur le gazon et qui, à la manière d’un objet magique, reflète la prairie verte. L’art donne à un espace - qui s’ouvre à l’adulte avant tout sous son aspect fonctionnel - des points de référence émotionnels, facilitant ainsi l’orientation de l’enfant et pouvant même lui donner un sentiment de sécurité. Les sculptures sont bien mieux adaptées aux enfants que l’art à deux dimensions exposé dans les musées. On peut tourner autour, se cacher derrière, les tâter, souvent s’asseoir dessus sans les endommager immédiatement ; de plus, elles appartiennent à tous. A sept ans, un enfant est d’ailleurs tout à fait capable de percevoir consciemment des objets d’art, d’avoir une réaction face à eux, d’exprimer ses pensées et sensations lorsque des adultes l’y incitent.
En citant les exemples ci-dessus, je pensais à l’école Sahligut à Bienne, avec ses sculptures de Raffael Benazzi, Willi Weber, Franz Eggenschwiler, Michel Engel et André Ramseyer : un exemple de réussite pour une sélection pleine d’affinités de formes et de matériaux les plus divers, intégrés dans l’architecture, qui rendent les lieux uniques pour les écoliers et que ces derniers ont plaisir à embrasser du regard. Mais une chose me paraît manquer ici : un dialogue qui s’ensuivrait et devrait commencer avant l’installation définitive des œuvres. Ceci est également valable pour les écoles dans lesquelles l’interaction de l’architecture et de l’art est encore de mise. L’auteur de ces belles formes, de ces objets curieux, mystérieux, voire inquiétants, reste un inconnu la plupart du temps. La construction de l’école est terminée, l’architecte et l’artiste ont fait leur travail, les élèves s’installent dans le bâtiment.
Tenir l’artiste à l’écart de la « province pédagogique » a peut-être une raison, car l’artiste et son rôle dans notre société sont considérés de diverses manières, négatives le plus souvent. Les gens les plus obstinés voient en l’artiste une personne privilégiée qui donne libre cours à ses opinions, à sa soif de ludique et d’acte créateur, une liberté qu’ils lui envient. Cette liberté et l’artiste qui la personnifie ne sont pas tout à fait innocents : l’artiste est en quelque sorte annonciateur d’un être libéré du carcan de certaines contraintes dues aux circonstances au sein de la société. Son art suppose innovation et changement, ce qui ne signifie pas pour autant que des changements devraient avoir lieu uniquement en art et par le canal de l’art.
Mais il existe des démarches encourageantes visant un art issu du processus qui lie artistes et enfants, sans que l’artiste ait été condamné à être tout simplement un constructeur de tours d’escalade. La solution idéale serait que l’artiste, en contact constant avec l’établissement scolaire, puisse poursuivre ses propres objectifs et que des impulsions, découlant du contexte de cette création artistique active, se multiplient et soient transmises aux élèves, afin que leur propre créativité puisse s’épanouir. Je pense qu’ainsi une partie du fossé qui sépare artistes et public pourrait être comblée.
Andreas Meier
Traduction allemand – français © Giselle Kellerhals